Le marché pharmaceutique français en récession pour la 1ère fois en 2012

Selon résultats de l’étude Intelligence.360 d’IMS Health, le marché pharmaceutique mondial reste en croissance sur les prochaines années. Une progression tirée par les pays émergents qui continuent d’afficher une croissance à deux chiffres jusqu’en 2015. Les marchés matures, Amérique du Nord, Europe continentale et Japon afficheront une croissance entre 1 et 5 % sur la même période. Le marché français entre en récession pour la première fois en 2012.

Le marché mondial maintient sa croissance sur les prochaines années, atteignant plus de 1 000 milliards de dollars en 2014. « Nous prévoyons une faible croissance, voire une récession sur certains marchés matures, alors que l’on garde une croissance à deux chiffres sur les marchés émergents, observe Robert Chu, président d’IMS Health France. Nous sommes donc sur la même dynamique que l’an dernier. »

Sur la période 2011‐2015, la croissance est évaluée entre 1 et 4 % sur le marché américain et les autres pays développés, 2 à 5 % sur le marché japonais, mais de moins 1 à moins 2 % sur le marché français. Quant aux pays émergents, en particulier les pays du bloc Brésil, Russie, Inde, Chine (BRIC), la croissance devrait être de 13 à 16 % sur la période ; elle reste donc forte bien que ralentie par la crise mondiale. La contribution des trois premiers marchés émergents à la croissance globale sera de 63,4 %, soit près du double de leur contribution sur la période 2006‐2010 (37,2 %). La contribution du marché américain passe de 25,4 % à 15,2 %. Celle des cinq premiers marchés européens sera d’environ 3 %.

La croissance est relativement incertaine sur le marché américain, notamment parce qu’elle dépend fortement des prix sur un marché à prix libre (la régulation du prix des médicaments est interdite par la constitution). Au contraire, la croissance des marchés émergents est tirée par les volumes, avec des prix bas, et une majorité de médicaments génériques. En Europe, sur les marchés matures, la croissance ne profite ni de l’évolution positive des prix, ni de la progression des volumes.

« La perte de brevets des médicaments princeps est un facteur de rétractation du marché, note Robert Chu. A l’échelle mondiale entre 2010 et 2015, la croissance gagnée par l’introduction de nouveaux produits (129 milliards de dollars) est annulée par la perte de brevets des anciens produits (125 milliards de dollars). Mais le pic du risque générique est atteint en 2012 et décroît à partir de 2013. » Ainsi, la croissance sur les marchés émergents est essentiellement tirée par les médicaments génériques.

« C’est une tendance lourde, poursuit Robert Chu. A mesure que ces marchés deviennent plus matures, ils deviennent des marchés de spécialisation, de médicaments princeps, mais seulement dans une deuxième phase. » Dans les pays d’Afrique et d’Asie, la croissance sera également forte sur la période à mesure que les systèmes et politiques de santé se structurent et se mettent en place. Les entreprises investissent sur ces marchés où elles trouvent des relais de croissance. Toutefois, ces marchés restent essentiellement des marchés de « out‐of‐pocket », c’est‐à‐dire que les patients financent eux‐mêmes leurs soins.

Le marché français entre en récession pour la première fois en 2012
En France, le marché des médicaments remboursables en ville stagne depuis quatre ans mais il entre pour la première fois en récession en 2012, avec une baisse anticipée de 2 % en valeur. « Après deux ans de croissance zéro, le marché français va entrer en récession sous l’effet des décisions des pouvoirs publics relatives aux baisses de prix et aux déremboursements, constate Robert Chu. Les efforts de maîtrise médicalisée et de réduction des dépenses de santé produisent leurs effets jusqu’en 2015. Mais nous assistons en parallèle à une panne de l’innovation. Ainsi, la croissance des médicaments hospitaliers, traditionnellement plus forte, s’essouffle pour s’établir autour de 3 % en 2012. »

De son côté, la croissance des médicaments génériques stagne également, voire diminue, en partie car ils subissent l’effet de la « stigmatisation » du médicament en général à la suite de l’affaire Mediator. Le marché français reste essentiellement dépendant du « prescrit remboursé ». Le chiffre d’affaires en prix public des officines françaises est de 35,3 milliards d’euros en 2011, dont 85 % est composé de médicaments sous AMM (dont 70 % prescrit). « Le poids du remboursé est ce qui structure le marché français », souligne Robert Chu.

Pour 2012, une « croissance négative » est donc programmée, via un ONDAM 2012 (Objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie) fixé à 2,5 %, des mesures d’économies de 2,7 milliards d’euros, des ajustements tarifaires qui représentent 2 à 2,5 points de croissance du marché, des déremboursements (40 millions d’euros) et de nouvelles taxes (150 millions d’euros).

Sur la période 2012‐2015, 27 milliards d’euros d’économies ou de recettes supplémentaires doivent permettre de réduire le déficit du régime général de 18,5 milliards d’euros en 2011 à 6 milliards en 2015. « Cette baisse du marché en valeur est un événement inédit ; nous n’avons jamais vu ça, observe le Pr Claude Le Pen, Professeur d’économie à l’université Paris‐Dauphine et consultant IMS Health France. C’est en effet le résultat de la combinaison d’une maîtrise des volumes par les prescripteurs et d’une baisse de prix imposée par les pouvoirs publics pour faire face à la crise de la dette et limiter la croissance des dépenses de santé. »

Pourquoi la France se distingue‐t‐elle parmi les autres marchés matures européens ? « Tous les marchés européens sont touchés mais avec des calendriers différents, note Claude Le Pen. Ainsi l’Allemagne a eu une politique de baisse de prix un peu antérieure à la nôtre. La France va rester dans la partie basse de la fourchette européenne au moins pour 2012 et 2013. »

En matière de prescriptions des médecins libéraux, la convention de juillet 2011 a changé les règles du jeu et le principe d’un « paiement à la performance » via l’instauration du CAPI (Contrat d’amélioration des pratiques individuelles) s’est généralisé.

Changement de modèle économique
L’impact sur les acteurs économiques de la chaîne de santé se traduit par un changement de modèle qui suscite « des options stratégiques nouvelles pour les entreprises afin de s’adapter à cette moindre croissance, également liée à une baisse de l’innovation », relève Claude Le Pen.

« C’est une situation qui dure et dont on voit mal quelle pourrait être l’évolution dans les prochaines années, poursuit‐il. L’innovation de masse est remplacée par des innovations de niche, ce qui donne lieu un nouvel environnement économique pour l’industrie, impliquant des restructurations industrielles et obligeant à repenser les modèles commerciaux, la relation client, le positionnement des produits, etc. »

La comparaison des programmes de deux principaux candidats à l’élection présidentielle française ne fait pas apparaître de nettes différences. L’analyse d’IMS Health distingue les « incontournables » de 2012 : « Le déficit du régime général de la Sécurité sociale est de 14 de milliards d’euros, dont 6 pour la branche maladie et 6 pour la branche vieillesse, rappelle Claude Le Pen. Quant aux recettes nouvelles, elles sont attendues à hauteur de 6,5 milliards d’euros, plus 2,3 milliards d’économies supplémentaires (1). » Quel sera le plan pour 2013 ? « Il existe des options politiques mais avant tout une réalité financière, poursuit le Pr Le Pen. C’est pourquoi nous ne croyons pas beaucoup à la possibilité d’une politique radicalement différente. » Une absence de clivage droite/gauche marqué qui illustre, selon Robert Chu, « à quel point les marges de manoeuvre sont étroites. »

Evaluation post‐inscription : « Données en Vie Réelle »
Dans ce nouvel environnement économique, scientifique et industriel, la question de l’accès et du maintien des produits sur le marché prend un tour nouveau également. La pharmacovigilance est renforcée, le besoin de sécurité s’ajoute à l’obligation d’économies et « les Pouvoirs publics n’hésiteront pas à dérembourser ou interdire la consommation de produits qui ne tiendraient pas leurs promesses », souligne Claude Le Pen.

Un fait nouveau est donc en train de s’affirmer, qui traduit la volonté de développer une évaluation tout au long de la vie d’un produit de santé. L’accent sera mis en particulier sur « l’évaluation postinscription sur la liste des produits remboursables, note Claude Le Pen. Cette évaluation va permettre aux Pouvoirs publics d’observer la consommation du produit dans la vie réelle et dans des conditions d’utilisation normales plutôt qu’expérimentales. »

Comment le produit est‐il prescrit et consommé, quels sont les effets secondaires, quels sont les effets sur les coûts ? Autant de questions qui reposent sur les « données en vie réelle ». Ces données peuvent impacter l’indication, le prix, l’accès et l’usage d’un produit de santé. « Leur mise en oeuvre et leur usage n’est pas réalisé simplement à des fins académiques mais à des fins de décisions publiques », souligne Claude Le Pen. D’où la nécessité de formaliser les procédures, d’avoir accès à des bases de données adaptées, pour pouvoir poser des questions précises aux laboratoires. L’exploitation de ces données doit permettre d’intervenir pendant la durée de vie du produit, ce qui suppose une grande réactivité des autorités et une méthodologie appropriée.

« Ces études seront commanditées par la Haute Autorité de Santé et le Comité Economique des Produits de Santé, précise Claude Le Pen. Et financées par les entreprises elles‐mêmes. Ce type d’évaluation est du ressort des Etats, c’est pourquoi on parle d’évaluation post‐inscription et non post‐AMM, puisque l’AMM peut être obtenue au niveau européen. »

Source : IMS Health

1 Elles proviennent essentiellement de la réduction de niches fiscales, de prélèvements ciblés sur les revenus du travail et du patrimoine, du relèvement des droits sur les boissons alcoolisées, sur les véhicules de société, du passage de 3,5 à 7% de la TSCA sur les contrats responsables d’assurance maladie complémentaire, etc.