L’industrie du médicament « proche du point de rupture », selon le Leem

Le Leem publie la nouvelle édition de son bilan économique annuel des entreprises du médicament opérant en France. Selon le syndicat professionnel de l’industrie pharmaceutique, l’année 2011 aura été marquée par un essoufflement économique et une pression accrue des mesures de régulation. Emploi, R&D, balance commerciale… L’industrie du médicament est aujourd’hui «très proche du point de rupture. », estime le Leem.

« L’année 2011 demeurera, pour beaucoup, comme une année de transition. Une année qui, sur le plan économique et social, aura durablement brouillé la lisibilité de la politique menée par les autorités françaises, analyse Christian Lajoux, Président du Leem. « Les industriels du médicament, qu’ils soient nationaux ou internationaux, ont besoin de lisibilité en matière de politique économique et sociale. Il est aujourd’hui nécessaire de réaffirmer le rôle central de la politique conventionnelle comme outil de maîtrise des dépenses, mais aussi comme moyen de garantir l’accès de tous au progrès thérapeutique. Il est urgent de rebâtir, en France, un modèle industriel et scientifique de référence car, que ce soit en matière d’emploi, de R&D ou de balance commerciale, l’industrie du médicament est aujourd’hui très proche du point de rupture. », estime-t-il.

Une évolution de chiffre d’affaires neutralisée par « l’ampleur de la régulation »
En 2011, le chiffre d’affaires du médicament en ville s’est élevé à 21,6 milliards d’euros (en prix fabricant hors taxes), soit une quasi-stagnation de + 0,3 %, égale à celle qui avait déjà été constatée en 2010 (contre + 2,4 % en 2009). Exprimé en unités, le marché des médicaments remboursables a décru de 0,4 % entre 2010 et 2011. Le chiffre d’affaires à l’hôpital affiche quant à lui une croissance zéro.

« Cette atonie est essentiellement imputable à la diversité des outils de régulation mis en place, ces dernières années, par les pouvoirs publics : baisses de prix, essor des génériques, référentiels de bon usage, Capi, durcissement des critères d’évaluation du médicament, encadrement des prescriptions hospitalières… », analyse le Leem.

Selon l’organisation, l’année 2012 sera, elle aussi, fortement impactée par les vagues sans précédent de baisses de prix décidées à l’automne 2011. « Les pouvoirs publics ont, en effet, privilégié des solutions de court-terme pour atteindre l’objectif des dépenses d’Assurance maladie, notamment au travers de baisses de prix des médicaments d’un niveau annuel de 910 millions d’euros, contre 400 à 500 M€ les années précédentes », souligne le Leem.

Autre grief du Leem, la rentabilité des entreprises opérant en France est affectée par le paiement de taxes spécifiques. Ces taxes représentaient 3,3 % du chiffre d’affaires en 2011. Pour l’année 2012 et les suivantes, l’augmentation de la taxe sur le chiffre d’affaires, passée de 1 % à 1,6 % pour financer le développement professionnel continu des médecins, ainsi que l’augmentation des taxes et redevances versées aux agences d’évaluation du médicament, devraient porter le ratio taxes / chiffre d’affaires à plus de 4 %.

Lui aussi frappé, fin 2011, par d’importantes mesures de maîtrise (de l’ordre de 290 M€), le médicament générique représente malgré tout, en volume, un médicament sur quatre vendus en France. Grâce à une offre étendue de génériques de qualité, l’Assurance maladie engrange chaque année 1,8 milliard d’euros d’économies. « Le développement de la rémunération à la performance des médecins et l’échéance brevetaire de nombreuses molécules vont conforter ce potentiel d’économies jusqu’aux années 2016-2017 », analyse le Leem.

Un mauvais signal à l’international et un net recul des exportations

Pour le Leem, cette évolution défavorable du chiffre d’affaires en France constitue un mauvais signal adressé aux investisseurs internationaux, et n’incite pas les groupes pharmaceutiques à renforcer leur présence sur le territoire, que ce soit en y installant des sites de production ou des centres de R&D. Elle se traduit également par l’érosion des positions françaises à l’exportation. Les exportations de médicaments ont décru de près de 9 %, en 2011 par rapport à 2010, atteignant 22 milliards d’euros (contre 16,7 Mds€ importés). Ce recul s’explique par une dégradation de la conjoncture des pays acheteurs (Maghreb, Moyen-Orient, Côte d’Ivoire, Japon…) mais aussi et surtout par des baisses de prix appliquées sur le médicament dans de nombreux pays européens (Grèce, Espagne, mais aussi Turquie…). Enfin, le Leem souligne que « la confusion » entourant la publication, début 2011, d’une liste controversée « des 77 médicaments sous surveillance renforcée » a eu des effets délétères sur les exportations françaises, notamment en Afrique ou en Asie.

In fine, pour l’année 2011, le solde de la balance commerciale de médicaments reste positif à + 5 milliards d’euros (contre + 7 Mds€ par an ces deux dernières années) tandis que le solde de la balance commerciale nationale, tous secteurs confondus, est déficitaire de 70 milliards d’euros.

Une conjoncture troublée, couplée à un recul des effectifs

« Dans ce contexte, il est de plus en plus difficile pour les entreprises présentes en France d’opérer la transition de leur modèle économique, scientifique et industriel, tout en préservant les effectifs de la branche », estime le Leem. Avec la crise économique mondiale, le phénomène de concentration dans l’industrie du médicament, la fin des médicaments dits « blockbusters », et la concurrence nouvelle de pays émergents, le risque d’une aggravation de la situation dans les années à venir existe, tant dans les entreprises que chez leurs sous-traitants pharmaceutiques. Avec 102 825 salariés recensés fin 2011 (dernières données connues, publiées en juin 20121), le secteur enregistre d’ores et déjà un recul de – 1 %, par rapport à 2010 (soit une perte de 1 075 emplois) et des inquiétudes existent pour 2012, du fait des nombreuses restructurations annoncées depuis 2009. Les DRH du secteur interrogés en avril 2012 estiment la baisse des effectifs à – 2 % pour 2012. Faute de lisibilité durable en matière économique et fiscale, les entreprises peineront à maintenir le « noyau dur » de leurs effectifs internes, socle indispensable au déploiement, à l’extérieur des entreprises, des nombreux emplois induits par leurs activités.

Enfin, la perte d’influence massive, courant 2011, de l’évaluation scientifique française, avec un recul brutal du pays dans le classement des pays rapporteurs d’AMM européenne, fait peser une menace sur les emplois tertiaires localisés en France. Même si, dans le même temps, les entreprises du médicament peuvent rencontrer des difficultés de recrutement, notamment en R&D.

« La lisibilité, clé de voûte de la régulation française »

« Comme l’a souligné, le 31 mai 2012, le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie, le médicament est l’un des deux postes de dépense (avec les indemnités journalières) qui a le plus ralenti en 2011, avec des « objectifs atteints et même dépassés », constate le Leem qui souligne que « le poste médicament, qui représente 18 % des remboursements de l’Assurance maladie, a constamment respecté les objectifs de progression fixés par le législateur, sans toutefois échapper à des mesures de maîtrise supplémentaires, décidées unilatéralement par la puissance publique ».

L’organisation estime ainsi que « le médicament ne peut assurer à lui seul le rétablissement des équilibres budgétaires ».  Pour le Leem, « les partenariats et les structures de dialogue mises en place depuis plusieurs années – à l’instar de l’accord-cadre avec le Comité économique des produits de santé ou du Conseil stratégique des industries de santé – demeurent « des références en termes de lisibilité de la régulation française ». La pérennisation de ces grands instruments de la vie conventionnelle est une donnée-clé de la poursuite, en France, d’une politique industrielle de santé », souligne enfin le Leem.

Source : Leem

1 Les données économiques publiées dans le bilan sont celles disponibles à fin avril 2012. Concernant l’emploi, le bilan présente les données disponibles au 31 décembre 2010.