Tribune : l’IA révolutionne la recherche médicale avec les données artificielles et les patients virtuels
Face aux limites des méthodologies traditionnelles et à l’urgence d’innover en santé, des experts français issus de la recherche et de l’industrie soulignent le potentiel transformateur de l’intelligence artificielle (IA) dans la recherche médicale. Une nouvelle tribune co-signée par le Dr Jean-Louis Fraysse et Vincent Diebolt détaille comment les patients virtuels, générés par IA, sont en passe de redéfinir les essais cliniques.
Le défi de la recherche médicale actuelle
La recherche médicale est à un tournant. Face à une attente sociétale croissante en faveur de traitement innovants, sûrs, efficaces et personnalité, le modèle traditionnel d’évaluation des thérapies, qui repose principalement sur les essais cliniques classiques, montre aujourd’hui certaines limites. Conçus sur la base de protocoles standarisés et nécessitant un grand nombre de participants, ces essais sont peu adaptés aux maladies rares ou aux groupes de patients présentant des biomarqueurs spécifiques, en raison du faible nombre de volontaires disponibles. Cette situation est d’autant plus préoccupante dans un contexte de forte accélération des innovations thérapeutiques, avec 114 nouveaux médicaments autorisés par l’EMA en 2024, contre 77 en 2023.
L’IA et les patients virtuels, une solution prometteuse
Pour sortir de cette impasse, l’utilisation de patients virtuels, générés à partir de données médicales réelles grâce à des modèles avancés d’intelligence artificielle générative (GenAI), apparaît comme une réponse particulièrement prometteuse. « Grâce à ces modèles avancés, il devient possible de créer des cohortes artificielles parfaitement représentatives des profils réels, » expliquent les auteurs.
Cette approche présente de nombreux avantages. Elle permet de réduire les risques pour les patients en simulant virtuellement des essais thérapeutiques, ce qui évite de les exposer directement. Elle accélère également la mise à disposition de nouveaux traitements en raccourcissant de manière significative la durée des essais cliniques. Enfin, l’utilisation de données artificielles garantit la confidentialité des patients tout en préservant les propriétés statistiques des données réelles.
Une approche encadrée
La France est à l’avant-garde dans le domaine de l’intelligence artificielle au service de la recherche, avec plusieurs projets importants déjà lancés. L’essai RECORDS mené par l’IHU PROMETHEUSE évalue une corticothérapie personnalisée à partir de biomarqueurs pour des pathologies graves comme le sepsis ou le syndrome de détresse respiratoire aigu. De plus, une initiative menée par le CHU de Toulouse et l’Université Paris Cité a récemment démontré l’efficacité des cohortes virtuelles dans l’évaluation des risques liés à l’anesthésie préopératoire et l’optimisation des algorithmes médicaux, validant ainsi la fiabilité de ces profils artificiels.
Pour structurer et promouvoir cette nouvelle méthodologie, une alliance française nommée SILICA a été constituée. Ce collectif réunit cliniciens, chercheurs, statisticiens et méthodologistes issus d’organisations publiques et privées qui travaillent ensemble pour encadrer l’usage des données artificielles dans la recherche médicale, dans un cadre scientifique rigoureux et en dialogue avec les autorités réglementaires. Leur ambition est de contribuer à faire émerger, depuis la France, un modèle innovant et crédible d’essais cliniques numériques.
Une opportunité pour la recherche clinique française
La généralisation de cette approche nécessite de lever plusieurs obstacles : la fédération d’un volume suffisant de données fiables, le perfectionnement de modèles algorithmiques validés scientifiquement, et la conviction des autorités réglementaires françaises telles que l’ANSM ou la HAS. Le marché des essais cliniques, estimé à 93 milliards de dollars en 2032 (contre 51 milliards en 2024), et celui des essais numériques qui atteindra 5 milliards en 2029 (contre 3,6 milliards en 2024), représentent une opportunité économique majeure.
« Ne manquons pas cette occasion historique de positionner notre pays à l’avant-garde de la médecine du futur », déclarent Vincent Diebolt, directeur de l’infrastructure de recherche clinique F-CRIN, et Dr. Jean-Louis Fraysse, co-fondateur de BOTdesign, entreprise spécialisée dans le développement d’outils médicaux.
À propos des auteurs :
- Vincent Diebolt est directeur de F-CRIN, plateforme de recherche clinique, fédérant 20 réseaux spécialisés et positionnant la France parmi les leaders mondiaux du secteur. Il est également membre de l’Observatoire « Science & innovation » de l’Institut Sapiens.
- Jean-Louis Fraysse est co-président de l’alliance SILICA. Expert en intelligence artificielle et santé numérique, il est membre du groupe de travail « nouvelles approches méthodologiques de conduite d’essais cliniques » mené par l’Agence de l’Innovation en Santé et F-CRIN, et du groupe éthique de la délégation du numérique en santé.
Source : F-CRIN