Mediator : sale temps pour l’industrie pharmaceutique

Tout le monde en prend pour son grade. Comme on pouvait le deviner, le rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) sur l’ « affaire Mediator » n’épargne ni les acteurs, ni les autorités sanitaires, ni bien sûr le laboratoire Servier dont le président Jacques Servier est d’ailleurs cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Nanterre le 11 février prochain.

La grande lessive : et, de l’avis des connaisseurs du dossier, ce n’est pas fini. Les principaux points du rapport de l’Igas font figure de réquisitoire : Xavier Bertrand qui souhaite également être entendu par les missions parlementaires, fait preuve d’une incontestable détermination. Dans cette affaire, l’Etat n’a pas tourné autour du pot, il a même réagi avec une célérité qui ne lui est pas coutumière. Il est vrai qu’après tant d’années d’inertie et d’aveuglement, c’était le moins qu’il pût faire. D’autant que d’autres scandales Mediator restent à craindre si rien n’est fait pour redonner crédit aux agences sanitaires (notamment l’Afssaps, qui fait largement les frais du rapport) dans le domaine des Autorisations de mise sur le marché (AMM) et de la pharmacovigilance. Le gros du travail est incontestablement là : comment en effet réhabiliter une politique du médicament aujourd’hui flétrie par un scandale qui fait figure de caricature. Pour l’opinion publique, la messe est dite : elle qui faisait déjà très moyennement confiance au médicament, la voici confortée dans la méfiance et le déni qui s’étaient durablement installés depuis l’affaire du sang contaminé, l’hormone de croissance, le Vioxx et autres drames et ratés qui émaillent l’histoire récente de la santé publique. Le ministre a du pain sur la planche : il doit agir vite s’il entend en effet « rebâtir un nouveau système de sécurité sanitaire » dans des délais acceptables pour être crédibles. Chiche ? Plutôt, oui. Le ministre ne baissera pas les bras : l’enjeu est trop important. D’autant que le scandale est loin d’être éteint : les procédures judiciaires et les missions parlementaires se chargeront de le remettre sur le devant de la scène aussi souvent que possible.

Quelles conséquences pour les labos ?
Restent les labos : la brebis galeuse a contaminé toute la profession. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : désormais, pour lancer un nouveau médicament, il y aura du boulot. Un véritable parcours du combattant, semé des embûches les plus redoutables : service médical rendu examiné à la loupe, fixation des prix a minima, pharmacovigilance renforcée (confiée à l’InVS ?) : il y aura du sport. Sans même évoquer les conséquences de la mise sous haute surveillance de la visite médicale (déjà très encadrée), les laboratoires pharmaceutiques -qui n’étaient pas à la fête depuis quelques années- vont entamer un long purgatoire qui ne sera pas sans conséquence sur leur chiffre d’affaires et donc sur l’emploi. Si l’industrie pharmaceutique occupe la très enviable position de 4ème exportateur français, elle emploie actuellement quelque 100 000 personnes, ce qui est loin d’être négligeable. Et, pour parfaire la noirceur du tableau, elle a les mains vides, ou plutôt, son portefeuille de recherche et développement est quasiment plat. Ses médicaments vedette, les fameux blockbusters, tombent pour la plupart cette année dans le domaine public, subissant de plein fouet l’ « effet de falaise » c’est-à-dire une baisse spectaculaire de leurs revenus puisque ces produits deviennent immédiatement « généricables ». Mauvaise limonade… gâchée en grande partie par la faute de Servier dont les agissements et les manquements n’étonnent guère les connaisseurs du milieu. Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui c’est que l’avenir du laboratoire est très compromis, ce qui n’indignera personne. Le problème se pose maintenant pour l’ensemble de la profession qui se demande à présent comment elle va pouvoir réparer les pots cassés. Pour l’heure, elle fait profil bas, limitant ses actions de communication au strict nécessaire : certaines manifestations culte dans le métier sont d’ores et déjà reportées sinon ajournées. Les labos sont un peu dans la même posture (inconfortable) que l’Eglise -et la ressemblance ne s’arrête pas là… Comment en effet faire son aggiornamento sans jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Hervé Karleskind